Après la publication de mon précédent article sur le site rue89 et après tri des différents commentaires, j’ai remarqué que certains revenaient plusieurs fois et accusaient les cyclistes de prendre toute la place aux piétons.
La question est intéressante et mérite d’être posée : Après la toute-puissance de la voiture en ville, serions-nous à présent devant un règne impérial et sans compromis du vélo dans l’espace urbain ?
Au niveau de la circulation, l’espace urbain semble divisé en plusieurs zones : l’hyper-centre, le reste de la ville centre et la banlieue proche, ensuite on tombe dans le même type de circulation que dans les très petites villes et la campagne avec une densité de circulation suffisamment faible pour que chacun y trouve sa place (et surtout une raréfaction des cyclistes utilitaires et des piétons).
L’hyper-centre de la plupart des grandes villes est de plus en plus souvent piétonnier avec une certaine tolérance aux vélos.
Les cyclistes ont probablement une carte à jouer à cet endroit car c’est le lieu type de rencontre de modes de déplacements « doux » où chacun devrait pouvoir flâner en croisant les autres sans danger et sans gêne nocive : c’est la fameuse illustration idyllique ressortie à chaque nouveau projet d’aménagement où sont représentés piétons, parents avec des poussettes, rollers et vélos se rencontrant joyeusement.
Dans les faits, la réalité n’est pas toujours aussi rose. Beaucoup de cyclistes continuent à évoluer à la même allure que dans les rues classiques et deviennent une gêne pour les piétons qui manquent de se faire renverser et qui sentent une oppression constante face à un élément évoluant à une vitesse bien supérieure à la leur qu’ils ont du mal à percevoir et qui les obligent à une vigilance constante dans un lieu qui appelle pourtant à la flânerie.
Le paroxysme est atteint lorsque les cyclistes utilisent leur sonnette pour indiquer aux piétons qu’ils gênent et qu’ils doivent s’écarter pour laisser le passage au tout puissant vélo.
Je trouve, pour ma part, qu’une sonnette de vélo est aussi agressive qu’un avertisseur de voiture. Les décibels sont bien évidemment largement inférieurs, mais l’importance est dans la signification.
Les automobilistes utilisent leur klaxon dans 4 cas : pour avertir d’un danger immédiat (utilité réelle et autorisée de l’avertisseur), pour indiquer son mécontentement (utilisation purement inutile et ne servant qu’à augmenter l’irritabilité des personnes impliquées dans un problème de circulation), pour prévenir d’un danger (virage sans visibilité, etc., deuxième utilisation utile et autorisée) et enfin pour indiquer qu’un autre usager gêne leur progression.
C’est cette dernière utilisation qui est insupportable pour un cycliste lorsqu’il se place, par exemple, au milieu d’une rue étroite sans largeur suffisante pour être dépassé à 1m et que l’automobiliste de derrière cherche à passer par tous les moyens par impatience.
C’est exactement la même utilisation lorsqu’un cycliste fait retentir sa sonnette pour demander aux piétons de s’écarter de leur passage.
Il y a bien évidemment des exceptions et il est normal d’avertir des piétons situés sur une piste cyclable lorsqu’ils bloquent le passage : mais là encore, les cyclistes ont ce bonheur de ne pas rouler enfermés, pourquoi ne pas utiliser la parole et indiquer simplement aux personnes qui bloquent qu’elles empêchent de passer ?
Est-ce qu’on utilise une sonnette lorsqu’une personne bloque le passage dans un couloir de bâtiment ?
Mais dans un certain nombre de cas observés, le cycliste demande au piéton de lui libérer le passage alors qu’il marche simplement sur une voie qui lui est parfaitement autorisée et lui fait ainsi revivre le calvaire du cycliste dans sa rue étroite.
Le vélo des espaces piétonniers devient la voiture des rues circulables et se voit alors l’objet d’une opposition finalement justifiée.
Il me semble pourtant parfaitement possible de faire cohabiter piétons et cyclistes à une allure raisonnable permettant même aux vélos d’aller légèrement plus vite que les marcheurs et d’arriver à ces fameuses illustrations idylliques.
Le deuxième espace est donc le reste de la ville-centre, autour de l’espace piétonnier, là où l’on trouve les boulevards et autres rues bordées (ou non) de pistes cyclables.
La présence de plus en plus fréquente de pistes cyclables règle en partie le problème : chacun a sa place, les voitures au milieu, les vélos sur les bords, les piétons sur les côtés. On pourrait bien évidemment parfaitement remettre en cause ces dispositions. Voir des automobilistes hurler au scandale du vélo qui prend toute la place au piéton lorsque ce dernier est relégué aux bords de la chaussée pour faire la part belle à l’automobile est finalement assez ironique.
Passages piétons tous les 200m, largeur de certains boulevards à traverser, îlots centraux avec traversée en deux fois, etc. : les chemins piétons hors des centre-ville n’ont jamais été aussi compliqués que depuis la prédominance de la voiture en ville et seule la mise en place de plateaux piétonniers boutant la voiture hors de ces centre-ville a rendu la situation à nouveau vivable pour les marcheurs.
Pourtant, le vélo pose encore problème pour les piétons à cet endroit : les pistes cyclables sur les trottoirs.
Certains cyclistes se défendent en expliquant qu’il s’agit de décisions municipales et que les cyclistes ne sont pas responsables, mais il serait facile de leur rétorquer que l’adaptation des villes aux voitures découle tout autant de décisions municipales et que finalement, les automobilistes n’y sont pas pour grand-chose.
Pourtant, ce n’est pas tout à fait exact. Là où la ville avait clairement été modifiée en profondeur pour s’adapter à la voiture en poussant tous les autres de son passage pour lui faire une place de choix, les pistes cyclables des trottoirs ont, elles, été créées pour écarter le vélo des routes et ne pas gêner les automobiles : il ne s’agit donc pas de créer de la place pour les vélos, mais de les parquer avec les piétons, là où ils ne gêneront pas la circulation automobile.
Si l’on souhaite avoir une réelle politique cyclable et réellement donner une place au vélo, c’est rarement pour proposer une alternative à la marche à pied : le but est de proposer une alternative au déplacement en automobile, c’est donc sur la chaussée et non sur le trottoir que les pistes doivent être créées.
Le problème est que la création d’une piste cyclable est soumise à des règles et que les largeurs de chaque voie doivent obéir à des normes : il n’y a pas toujours la place de créer une piste cyclable.
Une solution ? Passer la voie en sens unique et libérer de l’espace pour les vélos : les trottoirs restent intacts et les vélos prennent une place à la voiture. Est-ce que les automobilistes/piétons-quand-ils-veulent qui hurlent au scandale du cycliste tout puissant seront satisfaits ? Rien n’est moins sûr.
Enfin, le dernier espace, la banlieue proche, celle qui est suffisamment densément peuplée pour avoir un flot de circulation régulier. Celle-ci est bien souvent complètement oubliée par les politiques cyclables et ni les piétons, ni les vélos n’y ont le droit de cité : ici, seule la voiture compte.
Les vélos sont de toute façon une gêne car ils occupent une place trop centrale sur la chaussée due à des routes souvent étroites.
Quant aux piétons, ils sont remisés sur des ersatz de trottoirs souvent trop étroits pour y marcher à deux, défoncés, remplis de poteaux et de poubelles et entrecoupés par des bateaux tous les 50m. Il est simplement impossible de s’y déplacer avec une poussette.
Il existe certains trottoirs larges et non encombrés. Ils servent en général de parking automobile. Rappelons-nous : « il faut bien qu’on se gare quelque part ».
Le piéton est donc complètement occulté par l’automobile et n’a absolument aucun droit en proche banlieue, et ce n’est clairement pas le vélo qui en est la cause ici.