Il me semblait évident d’avoir plus ou moins les mêmes repères que tout le monde pour indiquer telle ou telle ville dans un espace géographique donné : depuis toujours, j’entends les gens placer Lille au nord de la France, Marseille au sud, Strasbourg à l’est, Nantes à l’ouest et tout le monde semble conscient qu’aller de Lille à Marseille, c’est traverser le pays.
Il me semblait également évident qu’il en allait de même pour les localités proches de son lieu de vie, or il n’en est rien : Le rapport à l’espace est complètement différent selon que l’on soit automobiliste ou non.
J’entends par automobiliste une personne qui utilise sa voiture quotidiennement et qui ne réfléchit pratiquement qu’en terme de trajet automobile.
Celle à qui sont destinés les panneaux publicitaires annonçant le prochain supermarché à 5 minutes … en voiture, sans le préciser, comme si le seul moyen d’y accéder était forcément en automobile.
Une collègue, automobiliste de son état, a prévu un déménagement prochain dans la région et m’a récemment indiqué le nom de sa nouvelle ville hôte. Cette ville étant une petite localité peu connue au-delà des 2 km qui l’entourent, j’ai demandé des précisions quant à sa localisation.
La réponse était pour le moins déstabilisante pour un non automobiliste comme moi : c’est en direction de Bordeaux vers telle sortie.
Telle sortie de quoi ? Habitant dans la région nantaise, « en direction de Bordeaux » ne signifie pas grand chose d’autre que « vers le sud » ce qui est relativement vague lorsque j’attends une précision de localisation.
Il s’agit en fait de la sortie d’autoroute sur celle qui mène à Bordeaux. J’ai bien évidemment compris après coup de quoi elle voulait parler, mais il m’a fallut un temps d’adaptation pour comprendre qu’elle me répondait en langage automobiliste et qu’elle utilisait des repères que je n’ai absolument pas : je n’ai strictement aucune idée d’où est située cette autoroute et je ne connais aucune de ses sorties.
Après un regard sur une carte, j’ai pu découvrir l’emplacement de sa nouvelle ville d’accueil et ai pu la localiser par rapport aux trois ou quatre localités qui la séparaient de Nantes.
Mais les surprises ont continué : géographiquement parlant, son nouveau lieu de vie est plus éloigné que sa ville actuelle : à vol d’oiseaux ou en suivant l’une ou l’autre route qui semble y amener, cette ville est plus éloignée de quelques kilomètres. Elle m’a pourtant soutenu que cette ville était plus proche et qu’elle se rapprochait ainsi de son lieu de travail.
Comment est-ce possible ? Est-ce que les mots « proche » ou « éloigné » ont un sens différent que l’on soit automobiliste ou non ? Eh bien il semblerait que oui.
Lorsqu’on suit son raisonnement, elle s’est effectivement rapprochée de son lieu de travail puisqu’elle met moins de temps qu’avant pour y parvenir en utilisant le même moyen de transport. Sa ville actuelle a beau être plus proche géographiquement, les routes qu’elle doit emprunter pour accéder à son lieu de travail lui permettent d’aller infiniment moins vite que l’accès direct à l’autoroute que lui offre son futur lieu de vie.
Ainsi, la différence de perception est non seulement liée à l’espace, mais également au temps : il est plus rapide d’effectuer ce nouveau trajet que d’effectuer l’ancien malgré l’éloignement.
Or à vélo ou à pieds, plus une ville est éloignée géographiquement d’un point de départ, plus on mettra de temps pour y accéder.
Après réflexion, ceci est vrai également lorsqu’on voit son trajet par rapport aux transports en commun : il est par exemple bien plus rapide d’accéder à un endroit lorsqu’on est situé sur une ligne de train qui y mène que si l’on est plus proche géographiquement de la destination mais qu’il n’existe aucun transport direct permettant d’y accéder.
Ainsi, les déplacements de banlieue à banlieue sont bien souvent rendus extrêmement difficiles en transport en commun car la plupart des trajets passent par la ville centre, sauf si on habite directement sur la ligne qui permet d’accéder à sa destination.
En ce qui concerne la représentation de l’espace, il est intéressant de noter qu’elle est également influencée par les repères habituels des transports en commun. Ainsi, lorsque je me rends sur Paris, j’ai beau me déplacer à vélo, on m’indique toujours la station de métro la plus proche pour me situer un endroit.
Fort heureusement, il est plus facile de trouver un plan de métro de Paris qu’un plan de la ville.